"Histoire d'un allemand - souvenirs (1914-1933)" de Sebastian Haffner

Ce livre, rédigé en 1939 avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale mais publié pour la première fois en l'an 2000 quelques mois seulement après le décès de son auteur, est absolument stupéfiant et devrait constituer une lecture "obligatoire" pour tout enseignant d'histoire tant l'intelligence et la clarté de ses propos, qui se révèlent au travers de prémonitions fulgurantes, permettent de saisir les mécanismes qui ont conduit l'Allemagne à se soumettre à la folie hitlerienne.

Issu d'une famille de la bourgeoisie intellectuelle berlinoise, Sebastian Haffner, juriste de formation, retrace en cette "histoire d'un allemand", qu'il a écrite après s'être exilé en Angleterre, les circonstances de l'avénement du nazisme. Il ne se limite pas à la description des faits selon leur ordre d'apparition chronologique mais s'attache, en prenant son exemple "insignifiant", essentiellement à dépeindre les logiques psychologiques qui ont permis à cette barbarie de prendre corps et de déployer sans retenue toute sa haine et toute sa violence.

 Ainsi, met-il en avant par exemple le fait que les générations sur lesquelles s'est appuyée l'horreur nazie sont celles nées entre 1900 et 1910, générations qui ont appris au cours de leur enfance, passée en ces terres allemandes où les populations étaient épargnées dans leur vie quotidienne par la promiscuité des combats et des cadavres, à considérer la guerre comme un jeu fascinant et légitime et donc à adopter sans crainte la logique guerrière ultérieure d'Hitler et ses sbires. Haffner souligne également la responsablité des élites politiques allemandes qui, en se soumettant lâchement alors qu'elles possédaient la capacité militaire, entre autres, d'agir, ont littéralement trahi la population allemande, à l'instar mutatis mutandis des députés français face à la clique menée par Pétain. Enfin, l'auteur décrit l'intelligence pratique des nazis à vouloir développer, dans le cadre des camps d'endoctrinement, par lesquels tout ressortissant allemand ou presque devait passer, le sentiment de camaraderie, sentiment qui fait qu'un groupe est condamné à adopter, pour assurer sa cohésion, le comportement du plus vil de ses membres et qui fait également que chaque membre de ce groupe se sente à titre individuel totalement irresponsable de ses actes puisque ceux-ci lui sont imposés et que tout le monde agit identiquement.

Cet ouvrage est donc un document essentiel dont les conclusions devraient être en l'esprit de chacun d'entre nous car il constitue surement l'un des meilleurs remèdes contre les barbaries politiques à venir et offre un rappel nécessaire  bien que cruel sur la réalité de la démocratie dont la force et la pérennité dépendent malheureusement pour une part de la qualité incertaine de ses élites politiques.